Palais de justiceLe 23 janvier 2013, le corps d’une petite fille, Inaya, était retrouvé en forêt de Fontainebleau, enterré dans des sacs poubelles, près du domicile de ses parents.

Inaya avait 20 mois, elle est morte des suites de maltraitances répétées, «aux alentours de décembre 2011», ses parents ne se rappellent «pas exactement» quand.

Grégoire Compiègne, 27 ans, et Bushra Taher Saleh, 29 ans, sont jugés jusqu’au 6 novembre devant la cour d’assises de Melun pour violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Ils s’accusent mutuellement.

Les services sociaux, censés suivre la famille et la visiter régulièrement, ne se sont aperçus de la disparition d’Inaya qu’un an après sa mort, en décembre 2012.

 

Des alertes ?

Grégoire Compiègne avait été condamné en septembre 2009, à six mois de prison pour violences sur son fils ainé. Puis un signalement de la maternité à la naissance d’Inaya, et dans la foulée celui d’une puéricultrice, qui constatait la perte de poids du bébé et une marque sur le front de son frère, «enfant silencieux» grondé à répétition par ses parents.

Le 12 mai 2010, Inaya, 1 mois, souffrant de malnutrition, et son frère, couvert de bleus sont  hospitalisés puis placés dans une famille d’accueil.

Les parents avaient un droit d’hébergement le week-end.  L’assistante familiale qui les recueille chez elle alerte à plusieurs reprises : au retour des week-ends les enfants avaient perdu du poids, Inaya avait des griffures et des bleus sur le visage. Elle en a parlé aux services sociaux, décrivant des parents volubiles, agressifs, interdisant formellement  «toute marque d’affection envers les enfants».

Pourtant, les services sociaux estiment «l’évolution positive du positionnement du couple parental» et la juge des enfants prononce, en août 2011, la fin du placement, décision accompagnée, en théorie, d’un suivi renforcé, avec une «aide au retour en famille».

Entre ce retour en famille en août 2011 et février 2012, les travailleurs sociaux se rendent trois ou quatre fois domicile de la famille. Inaya n’est jamais là, elle serait «gardée par ses grands parents maternels», affirment les parents.

 

Et pourtant

Pourtant, la famille de Bushra Taher Saleh avait contacté la gendarmerie de Fontainebleau, puis les services sociaux de Melun qui avaient répondu :« L’ambiance familiale paraît sereine. Monsieur et Madame semblent avoir trouvé un rythme de fonctionnement permettant aux enfants d’évoluer sereinement ». (A cette date, Inaya est enterrée depuis 2 mois…).

Une lettre est adressée au juge des enfants pour dire qu’ils sont sans nouvelles de leur fille depuis des mois, et sollicitent de l’aide pour la retrouver.

La juge n’en tient pas compte.

Bien qu’Inaya n’ait toujours pas été vue par les éducateurs, ni inscrite à la crèche comme prévu, la magistrate estime que les parents ont «totalement stabilisé leur situation» et décide de mettre un terme au suivi (décision rendue le 27 juillet 2012). A cette date, Inaya est morte et enterrée dans 3 sacs poubelles  depuis déjà sept mois.

 

Personne n’a remarqué la disparition de la petite ! 

Il faudra attendre janvier 2013 et le signalement d’une institutrice, ayant constaté que l’ainé manque souvent l’école et présente des traces de coups sur tout le corps, pour  que l’Aide sociale à l’enfance se rende au domicile de la famille et constate l’arrivée  d’un troisième enfant ainsi que l’absence d’Inaya, dont plus personne n’avait entendu parler pendant un an.

Les parents sont mis en examen et la mère avoue. S’ils se rejettent tous deux la faute, tous deux reconnaissent  avoir enterré ensemble le corps de leur fille et mènent les policiers jusqu’à sa tombe. L’autopsie est formelle : Inaya, âgée de 20 mois au moment de sa mort, estimée entre fin décembre 2011 et fin janvier 2012, était maltraitée depuis longtemps.

 

La faute à personne

 De février à août 2012, une chef de service à l’action éducative de Seine-et-Marne est intervenue auprès des enfants du couple.  Les deux premiers rendez-vous de mars ont été annulés par Grégoire Compiègne : « Il nous a dit qu’il en avait marre des travailleurs sociaux ». Troisième rendez-vous annulé aussi. Au quatrième rendez-vous, elle est en arrêt maladie. Elle a passé quelques appels, notamment à l’école où le frère aîné d’Inaya était scolarisé. « Quand j’ai rappelé Monsieur, je me suis fâchée : il fallait que je voie les enfants. Le 23 mai, seule Madame est venue, avec son garçon. Elle m’a expliqué qu’Inaya était prise en charge par ses parents, qui la soutenaient, que tout le monde avait fait des efforts, de part et d’autre. »

« J’ai le sentiment d’avoir été manipulé »  dit le travailleur social

Il élude, tant bien que mal, les questions des avocats des parties civiles, jusqu’à ce que le représentant du ministère public demande à son tour des explications sur le fonctionnement des services sociaux, en relation avec le juge des enfants : « Le juge savait que les grands-parents réclamaient leurs petits-enfants. Ils n’avaient pas de nouvelles d’Inaya. Vous étiez au courant ? ». « Je savais qu’il existait un courrier dans lequel on faisait état de difficultés relationnelles mais… non, je n’avais pas cette information. »

« On m’a pris mes enfants pendant un an et demi. Plus jamais je ne veux qu’on me refasse ça. »  avait dit Bushra Taher Saleh. . « Elle était impassible » dit le travailleur social. « Elle m’a dit que tout allait bien avec Monsieur Compiègne. J’ai fait un compte rendu au juge début juillet…J’ai signalé au juge des enfants que je n’avais pas vu Inaya… Pour moi, la petite fille était vivante, au moment où sa mère m’en parlait ». Elle était morte depuis 6 mois…

 

L’ASE

«  On est tous humains, avec des charges de travail importantes. Un référent suit de 28 à 30 enfants, autant de familles d’accueil et de foyers… C’est un domaine profondément humain, c’est une histoire de confiance : on travaille avec la parole de l’autre. L’imperfection, c’est qu’on est obligé de réfléchir aux priorités des priorités. Ce n’est parfois pas simple. Parfois, la communication est à améliorer. L’institution n’est pas infaillible. »

A l’avocat général qui lui pose la question de la déchéance de l’autorité parentale et de l’opportunité de la décider en certaines situations le représentant le responsable ASE répond :  « C’est contraire à la loi, car nous devons toujours tenter un retour en famille, nous devons tenter tout un tas de choses avant d’en arriver à cette extrémité-là. La question se pose, oui : on ne doit pas y répondre seul mais en collectif, dans l’intérêt de l’enfant ».

 

La juge des enfants

Les avocats des parties civiles comme ceux de la défense souhaitaient l’entendre. « Il ne s’agit pas de critiquer une décision de justice, simplement on attend une explication. Pour pouvoir nous prononcer, nous avons besoin de l’ensemble des éléments », a expliqué l’avocat de Grégoire Compiègne, le père d’Inaya.

La juge des enfants du tribunal de Melun qui avait levé le placement d’Inaya, le 19 août 2011, ne s’est pas présentée à l’appel des témoins et a transmis à la cour un arrêt maladie pour toute la période du procès, du 29 octobre au 6 novembre. Les avocats des parties civiles ainsi que ceux de la défense ont demandé à la présidente de la cour d’user de son pouvoir discrétionnaire pour la forcer à venir témoigner. Sa décision sera rendue ultérieurement.

L’avocat général n’est pas du même avis : « Un juge doit être protégé pour les décisions qu’il prend. Cet arrêt maladie que signifie-t-il ? Que la juge va très mal moralement. Un juge qui prend ce type de décision y pense toute sa vie ». Il souligne également que ce procès n’est pas celui des services sociaux, mais simplement celui des parents de l’enfant.

 

Et demain ?

L’ASE ne travaille plus « comme ça ». Si deux rendez-vous sont annulés, ils se présentent au domicile. Si on leur refuse l’entrée, ou si on les empêche de voir les enfants, le juge des enfants est alerté immédiatement.

Le frère aîné d’Inaya, aujourd’hui âgé de 7 ans, et sa petite sœur de 4 ans, sont tous les deux marqués par le parcours chaotique et violent de leur père. Le garçon agresse enfants et adultes, il a dû changer de placement à plusieurs reprises.  L’éducateur dit : il y a « beaucoup trop de questions aujourd’hui qui restent sans réponses » pour les deux enfants, violents tous les deux et de manière « inhabituelle ». « Ils demandent pourquoi ils ne voient plus leurs parents, pourquoi ils ne voient plus leur sœur… » D’après leurs interrogations, ils pensent qu’Inaya se trouve encore à l’hôpital… « Il a été envisagé d’emmener les petits sur la tombe de leur sœur, afin qu’ils comprennent pour grandir ce qu’est la fratrie, la mort, et son aspect irréversible. Cela ne s’est pas fait », explique le témoin.

Les conclusion : du procès

Le jury est allé au delà des réquisitions de l’avocat général et a condamné Grégoire Compiègne, 26 ans, et Bushra Taher-Saleh, 29 ans, respectivement à 30 et 20 ans de réclusion criminelle.