Quand on est clown et qu’on vient jouer ponctuellement à l’hôpital, on vient pour ouvrir les fenêtres et faire entrer l’air du dehors, et c’est très bien. Mais quand on est clown à l’hôpital, on vient jouer avec l’air du dedans, créer à partir de ce dont est fait l’hôpital : des maladies, des soins, des espoirs et des désespoirs, mais surtout et avant tout des gens : enfants, parents, soignants, soit une richesse d’humanité inépuisable.
Transmission
Chacune de nos interventions commence par une transmission avec les équipes soignantes. Les informations que nous recueillons à ce moment là sont soumises au secret professionnel, comme les soignants le sont au secret médical. On nous dit quels enfants sont là, leur âge, leur pathologie, les soins, la situation familiale, sociale si besoin, et surtout l’humeur du jour, la fatigue, le moral. C’est un moment où chaque clown et le duo prend la température de la scène sur laquelle il va entrer. Ce sont des informations qu’on entre dans le disque dur : une fois que c’est dit, on n’y pense plus, mais c’est là et ça nous guide sans qu’on en ait conscience.
Après la transmission, chaque acteur intègre son clown : costume, maquillage, échauffement, vocalises, puis le duo se forme, et les deux clowns continuent de s’élaborer à travers la relation qu’ils établissent. C’est un moment important, qui enclenche ce dont la journée clownesque sera faite : qui sont ces deux là, qu’est ce qui les lie, que viennent ils faire là ?
Duo d’autorité
Le duo se constitue toujours sur un rapport d’autorité. Au cirque, où le clown a trouvé sa forme la plus spectaculaire, le rapport entre le clown blanc et l’auguste creuse l’écart à l’extrême, entre un personnage lunaire et une créature très trivialement terrestre. Nos duos à l’hôpital sont généralement dans des rapports hiérarchiques plus subtils, mais pas moins présents : il y en a toujours un qui en sait un peu plus que l’autre, et c’est dans ce rapport que l’enfant peut choisir de s’inscrire : il peut devenir le blanc face à deux augustes, il peut s’associer au blanc pour ridiculiser l’auguste, ou à l’auguste pour faire des farces au blanc. La seule position qu’il ne prend jamais, c’est seul auguste face à deux clowns qui seraient blancs : à l’hôpital et face aux clowns, c’est toujours l’enfant qui a l’autorité, c’est lui l’hôte du spectacle à qui respect est dû.
L’enfant peut aussi choisir d’être spectateur : un petit roi soleil pour qui la troupe invente un spectacle sur mesure.
Relation de jeux
Le duo, c’est la garantie artistique de notre travail : en établissant leur relation de jeu, les deux clowns créent un espace, posent un cadre, une toile de fond sur laquelle ils peuvent inventer les canevas que leur inspirent les rencontres de la journée. Cela permet d’intégrer toutes les réalités qui se présentent sans perdre le décalage, la transposition et la fantaisie, et que jamais la réalité, si forte et prégnante soit elle, ne nous condamne à redevenir réalistes.
Emmanuelle Bon
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