Le Ministère des familles, de l’enfance et des droits des femmes organisait le jeudi 19 janvier 2017 une journée d’étude autour de la recherche de consensus sur les besoins fondamentaux de l’enfant en protection de l’enfance, faisant suite à l’adoption en mars 2016 d’une loi réformant la protection de l’enfance. Composée de quatre tables rondes (deux le matin, deux l’après-midi), l’objectif était d’aborder quatre thèmes fondamentaux : les aspects juridiques, la définition de ces besoins, la formation des professionnels de l’enfance et l’importance de l’inter-disciplinarité pour protéger efficacement les enfants.
Démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l’enfant en protection de l’enfance
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Pour une meilleure prise en compte des besoins de l’enfant
Mme Laurence Rossignol, Ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes avait confié à Mme Marie-Paule Martin-Blachais la mission de rassembler des experts venant de différents horizons de la protection de l’enfance afin de déterminer une base de travail sur les futurs projets de loi ou décrets d’application. Les présentations thématiques, ce 19 janvier, des travaux effectués depuis septembre 2016 par ces 13 spécialistes étaient suivies de débats avec les invités afin de faire avancer la réflexion. Un rapport faisant suite au travail de ces quatre comités d’
experts pluridisciplinaires et tenant compte du débat public doit être publié à la fin du mois de février. La ministre a exprimé son souhait de « sortir la protection de l’enfance de l’angle mort des politiques publiques ».
Un constat initial : 290.000 mineurs et 21.000 jeunes majeurs sont concernés par les dispositifs de protection de l’enfance. Près de 30% des majeurs sortant de ces dispositifs connaissent de très grandes difficultés liées à leur insertion dans la société, à leur santé mentale et à la délinquance. Les lois de 2007, de 2016 et la Convention Internationale des droits de l’Enfant (CIDE) ont souhaité que la politique publique soit centrée sur l’intérêt supérieur de l’enfant.
1ère table ronde : Droit, intérêt et besoins de l’enfant : contours et détours ?
L’article 3 de la CIDE tout comme le droit française disent que les décisions de justice doivent être prises selon l’intérêt de l’enfant. C’est là une limite aux autres articles de droit et un principe fondamental en protection de l’enfance.
Helen Jones, consultante anglaise en service de l’enfance et de la famille a souligné l’importance pour l’enfant de pouvoir toujours compter sur quelqu’un pour pouvoir se développer, en citant Bronfenbrenner : « Chaque enfant a besoin de quelqu’un qui est irrationnellement fou de lui ». Cela doit être pris en compte lors d’une décision de placement ou par les professionnels de l’enfance. La question de la « voix de l’enfant » doit être prise en compte au même titre que son intérêt. Ainsi, il est nécessaire de déterminer son intérêt en prenant en compte son point de vue, son identité, son bien-être, sa vulnérabilité, son environnement et ses relations familiales, son éducation, sa santé et son développement. Le Royaume-Uni a adopté en 1989 dans le « Children act » la notion d’« enfant dans le besoin » (« children in need »), terme absent du droit français. Elle estime que deux défis doivent être relevés : celui de la responsabilisation des professionnels travaillant avec les enfants, et celui de leur formation.
Fabienne Quiriau, directrice du CNAPE, a rappelé que la loi du 5 mars 2007 instaurait progressivement la notion de « besoins de l’enfant ». Cela répondait au constat sévère mais partagé sur le fait que la logique de dispositif ne répondait pas à ces mêmes besoins de l’enfant. L’article 371-1 du Code civil parle de l’intérêt de l’enfant et du « respect dû à sa personne ». La CIDE a beaucoup influé sur la loi de 2016 sur ces questions d’intérêt, de prévention, du développement des enfants et du principe d’universalité (tous les enfants ont les mêmes droits). La question se pose donc sur la difficulté de déterminer objectivement l’intérêt de l’enfant dans toutes les décisions qui seront prises. Les notions d’intérêt, de droit et de besoin doivent s’articuler avec la notion de danger. Si ces besoins ne sont pas remplis, ce sont des indicateurs de danger.
Julie Fergane-Tauzy, substitut du procureur de Dijon, estime que les membres du parquet des tribunaux pour enfants sont victimes du complexe de l’imposteur car ils ne sont pas des professionnels de l’enfance. En revanche, ils en sont les adjuvants nécessaires. La loi de 2007 a marqué une révolution dans la protection de l’enfance mais a introduit une forme de crispation dans l’interprétation du principe de subsidiarité : l’impossibilité d’évaluer les familles, les études de cas individuels sont souvent limitées faute de temps disponible… Celle de 2016 prend acte de ces difficultés car il y a dorénavant possibilité de saisine directe du juge des enfants. De plus, la loi de 2007 ne prévoyait pas de liens entre les différents acteurs de la protection de l’enfant. Celle de 2016 prévoit un décloisonnement nécessaire des savoirs et des compétences professionnelles en introduisant des formations communes à destination des magistrats et des travailleurs sociaux.
Le Dr Maurice Berger, pédopsychiatre, avait exprimé son souhait en 2005 lors des travaux préparatoires de la loi de 2007 de voir inscrit la question de l’intérêt et du développement de l’enfant mais s’était heurté à la réticence du comité qui a préféré centrer le débat autour de la notion de « danger ». En 2007, beaucoup de professionnels se plaignaient de la recrudescence de la violence des enfants qui ne respectaient plus la parole de l’adulte encadrant, en crèche, maternelle, primaire… Ainsi que la baisse des capacités d’apprentissage et donc l’orientation vers des dispositifs spécialisés. Dans les années 60’, les enfants étaient placés « au grand air ». En 2003, le terme « intérêt de l’enfant » a été introduit dans le Code civil sans que cela produise de changement notable dans les faits en raison de difficultés d’interprétation. La loi de 2016 est venue rattraper les erreurs faites : enfant doit être pensé comme tel et avoir un toit ne lui suffit pas. Trois capacités sont nécessaires à sa vie future : la capacité d’apprentissage, de savoir vivre en groupe et celle de ne pas être violent.
Le débat avec la salle a souligné la difficulté de l’évaluation pour les enfants de moins de 30 mois car ils ne parlent pas. Mais aussi la nécessité de pouvoir faire des entretiens d’évaluation avec l’enfant seul en l’absence de ses parents afin de ne pas leur faire perdre leurs capacités de réflexion. Des constats : en France, un mineur est rapidement « incasable », les placements coercitifs, voir pénaux, sont beaucoup trop nombreux. Seuls 10% des enfants sont défendus par des avocats alors que l’aide juridictionnelle doit leur être automatique.
2ème table ronde : Besoins fondamentaux : besoins universels et besoins spécifiques en protection de l’enfance ?
Catherine Sellenet, professeur en Sciences de l’éducation estime qu’il est difficile de définir les besoins de l’enfant. Leur hiérarchisation est nécessaire. Un certain nombre de besoins sont fondamentaux et communs à tous les enfants. Mais il existe aussi des besoins spécifiques liés aux chemins parfois accidentés de ces enfants, et enfin, des besoins particuliers liés à la compensation d’un handicap.
Paola Milani, professeur de pédagogie sociale à l’Université de Padoue a partagé l’expérience effectuée en Italie autour du programme P.I.P.P.I. (Programme d’Intervention Pour Prévenir l’Institutionnalisation) qui a débuté en 2011. Les buts sont :
- La réduction des taux de déplacements des familles à travers un travail de requalification des compétences parentales
- L’expérimentation d’une alternative aux placements à travers une approche intensive de courte durée (18 mois) de prise en charge de la famille entière
- Combler le déficit d’évaluation
- Harmoniser et recomposer les pratiques d’évaluation et d’intervention envers les familles qui ne répondent pas aux besoins des enfants.

Jean-Louis Nouvel, psychiatre à Poitiers, a souligné l’importance du lien pour l’enfance. La pathologie du lien est fréquente en cas de maltraitance in-utéro ou d’abandon, elle entrave la capacité de résilience et les problèmes induits sont bien souvent trans-générationnels. Le lien parental est un besoin fondamental pour les enfants et il doit être pris en compte dans la protection de l’enfance. Les institutions reproduisent très fréquemment les problèmes et les erreurs familiales.
3ème table ronde : Formation et socle de connaissance au service des besoins et du développement de l’enfance : acceptabilité, faisabilité, mise en œuvre ?
Marcel Jaeger présidait cette 3ème table ronde autour du thème de la formation et souligne l’importance de fabriquer un socle commun de connaissances correspondant aux nouvelles dispositions légales, de former des formateurs et de continuer à former les professionnels de terrains.
Gisèle Apter, pédopsychiatre, a posé la question de la détermination de ce socle : quelle(s) formation(s) ? Pour quels professionnels ? Derrière quels principes ? Avec quelle organisation ? Il n’y a aucun laboratoire de recherche spécialisé en protection de l’enfance en France et les fonds alloués à la recherche dans ce secteur sont très faibles.
Willy Lahaye, professeur en Sciences de l’éducation à Mons (Belgique) a détaillé la situation dans un pays où les politiques de protection de l’enfance ont une vingtaine d’années d’avance sur la France. Malgré tout, après 25 années de politiques entamées dans ce sens, tout n’est toujours pas appliqué. Il est difficile de changer les pratiques et les personnes par simple décret. Sans implication et application des acteurs de terrain, de tels dispositifs sont inefficaces. Il est donc important de faire remonter les questions et suggestion du niveau de base jusqu’au décideurs politiques, tout comme il est important d’inclure des experts de vécu dans la formation et dans les décisions dans une forme de réflexion par le bas. « Les lois et décrets d’application ayant été adoptés l’année dernière, je vous donne encore 10 ans » a-t-il ajouté. La question du référentiel, c’est-à-dire l’ensemble des présuppositions, des préjugés, sur ce qui est le « bien » et le « bon » pollue la réflexion. Il doit être exprimé, vécu, dit et donné, d’où l’importance de l’avis des experts du vécu.
Claire Ganne, maître de conférences en Sciences de l’éducation à Nanterre a insisté sur la nécessité de former les animateurs qui sont trop souvent oubliés. La formation peut avoir un effet péjoratif si l’on ne prend pas le contexte dans son ensemble : le dispositif institutionnel doit être cohérent. Pour elle, le socle de connaissance doit s’articuler en 5 niveau :
- Onto : le développement et le bien-être subjectif de l’enfant
- Micro : les interactions parents-enfants
- Méso : les relations parents-professionnels
- Exo : les relations entre les professionnels
- Macro : le projet de société porté par cette conception de l’évaluation des besoins de l’enfant
4ème table ronde : Quels enjeux de coopérations et partenariats pluridisciplinaires au service des besoins de l’enfant en protection de l’enfance ?
Priscille Gérardin, psychiatre au CHU Rouvray a initié cette 4ème table ronde en exprimant des constats sur l’importance des troubles somatiques, psychiques et psychiatriques des mineurs ou anciens mineurs de l’ASE, cumulé aux risques plus accrus d’addictions et de tentatives de suicide. Si cette population présente des risques très élevés, elle est également silencieuse. Il est donc très important de la mettre au centre de nos préoccupations en matière de protection de l’enfance. Des principes communs doivent être adoptés en associant les professionnels de différents secteurs :
- Ne pas répéter les traumas liés à la séparation : pas de séparation sans cadre pour l’accompagner.
- Penser la continuité des acteurs comme des actions, en limiter le nombre.
- La nécessité d’avoir un référent coordonnant les acteurs et actions dans le temps, une trace de l’histoire de vie.
- Travailler sur la distance en adoptant la bonne proximité avec le bébé et la bonne distance avec l’adolescent.
- Accompagner le développement en allant dans le sens du développement psychique et physique progressive.
- Renforcer et valoriser l’estime de soi et l’empathie.
- Favoriser et organiser le repérage précoce d’informations préoccupantes.
Nathalie Vabre, pédiatre coordonnateur au CHU de Nantes a exprimé la nécessité de co-formation entre professionnels sur le terrain et les magistrats : cela permet ainsi la rencontre et il serait beaucoup plus facile d’effectuer une signalement (on met un visage sur un nom). Il faut aussi apprendre la rédaction de signalement aux procureurs. Les regards croisés de professionnels de disciplines différentes sont importants lors de diagnostics afin d’avoir une meilleure évaluation et proposer de meilleurs soins (par exemple les avis conjoints d’un éducateur et d’un médecin). Elle cite le cas d’enfants maltraités qui souvent ne s’expriment pas sur la douleur qu’ils ressentent par peur d’avoir encore plus mal dans le cas de maltraitance particulièrement graves. Pour ces enfants, l’échelle de douleur qu’on leur propose ne sert à rien. Il y a donc besoin de reconnaître la douleur même sans le témoignage de l’enfant.
Georges Picherot, pédiatre, a insisté sur l’efficacité de l’interdisciplinarité : l’hôpital est dans la démarche de protection initiale de reconnaissance de la maltraitance, voire de garder un enfant qui ne souhaiterait pas revenir chez lui. Il ne doit pas y avoir de dissociation entre la prise en charge initiale et le soin et l’on ne peut pas faire d’expertise sans soin.
Les associations et la vie civile doivent être un stimulant pour la protection de l’enfance, pour dénoncer certains parcours d’enfants, pour pointer du doigt des rapports expert aux, des décisions de magistrats… C’est seulement comme ça que la protection de l’enfance sera efficaces et protégera au mieux les enfants.
Pour finir…
Beaucoup de réflexions seront à venir pour étudier le matériel récolté. Les échanges avec la salle ont été très nombreux et riches. Il y a un certain nombre de points de consensus et de convergences déjà établis mais d’autres doivent toujours être clarifiés.
Il y a ainsi consensus sur l’interdisciplinarité nécessaire et le besoin d’inter-institutionnalité, sur la nécessité de formation transversale et d’établir un socle commun de connaissances partagées, ainsi que sur la question des intérêts et des besoins dont la réflexion rejoint celle de la CIDE et le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies et leur notion d’« intérêt supérieur de l’enfant ».
Beaucoup de travail reste encore à effectuer pour mettre en place un outil opérationnel. Le groupe d’expert continuera ses discussions et son travail avant la publication d’un rapport final fin février 2017.
Le ministère devrait publier prochainement sont « 1er plan de lutte contre les violences faites aux enfants ».