Comme on parle de « Raison d’Etat », on pourrait parler de « Raison d’Eglise », ou de « Raison de Fonction ». Quels qu’ils soient, les institutions ont une tendance naturelle à se protéger et chaque hiérarchie à protéger « les siens ».

Les affaires récentes dans l’église ou l’éducation nationale en sont une illustration flagrante.

Le cardinal Barbarin, primat des Gaules,  avait eu dès 2007 connaissance des actes commis par Bernard Preynat.  Ce prêtre, pédophile avéré, ayant reconnu les faits, aurait dû  être immédiatement empêché de côtoyer des enfants et des jeunes, et poursuivi devant les tribunaux. Les victimes ? « On » leur a demandé de ne pas porter plainte, de « pardonner » pour ne pas nuire à l’église, en leur promettant que ce prêtre n’aurait plus de contacts avec des enfants.  Or il n’en a rien été : non seulement ce prêtre été envoyé dans une paroisse où il avait charge d’enfants, mais il a en outre été promu. Une simple remontrance, et la vie a continué.

On pouvait pourtant imaginer qu’en France, la hiérarchie ecclésiastique puisse se poser plus de questions. En effet, en octobre 2000, l’abbé René Bissey avait été condamné à 18 ans de prison par la cour d’assises du Calvados pour des viols, agressions sexuelles et actes de corruption commis sur onze mineurs. Enfance Majuscule était partie civile au procès. Son supérieur direct,  Monseigneur Pierre Pican, évêque de Bayeux, avait été condamné à trois mois de prison avec sursis pour non dénonciation de crime, une première dans l’épiscopat français.

La dénonciation des actes pédophiles par l’église

A partir de cette date, des médiateurs ont été mis en place dans les diocèses, qui ont distribué des guides de lutte contre la pédophilie.

La papauté a réagi après les affaires qui ont éclaté aux Etats-Unis et en Irlande. En 2010, Benoît XVI a prôné la tolérance zéro et  demandé aux évêques de signaler aux autorités compétentes tout prêtre pédophile. Dans une déclaration publiée le 15 février 2016, la Commission pontificale pour la protection des mineurs a réaffirmé « l’obligation des évêques de « signaler les cas d’abus sexuels aux autorités civiles ». Quant au pape François, il déclarait récemment : »Un évêque qui change un prêtre de paroisse quand on détecte qu’il est pédophile est un inconscient et le mieux qu’il puisse faire est de présenter sa démission. »

Mais, l’affaire Barbarin-Preynat prouve qu’il est encore loin de la théorie à la réalité : il est trop souvent impensable de dénoncer un ecclésiastique dont l’image reste sacralisée quels que soient ses agissements.

Il est pratiquement impossible de connaitre l’ampleur du phénomène. Beaucoup d’affaires ont été révélées en Irlande, en Grande Bretagne, aux USA, mais également en Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas, en Belgique. En France, en Espagne, en Italie, peu de scandales ont éclaté et l’omerta semble toujours la règle. Seul chiffre connu : depuis 30 ans, 20.000 dossiers d’ecclésiastiques impliqués dans des affaires de pédophilie ont été comptabilisés par le Vatican au niveau mondial (les prêtres en exercice seraient 400.000 pour la même période).

Toutes les institutions concernées ?

L’église catholique n’est pas seule touchée. Toutes les religions ont leurs brebis galeuses,  prêtres, rabbins, imams, pasteurs ou autres. Comme les religions, toutes les institutions accueillant des enfants, et particulièrement l’éducation nationale attirent des personnes ayant un rapport pathologique avec la sexualité, recherchant le contact avec les jeunes et  l’impunité qui les caractérisent.

La Ministre de l’Education Nationale, Najat Vallaud Belkacem, annonçait le 16 mars 2016  27 radiations en 2015 pour des cas de pédophilie ou de pédopornographie (il y en avait eu 15 en 2012, 26 en 2013 et 19 en 2014 selon des chiffres du ministère.). Ce n’est certainement que la partie émergée d’un iceberg bien plus important.

Depuis 2015 et l’affaire de Villefontaine (un directeur d’école mis en examen pour viols de certains de ses élèves alors qu’il avait été condamné pour recel d’images pédopornographiques en 2008), les annonces se sont multipliées : tout sera fait pour que les responsables hiérarchiques des enseignants ne soient plus laissés dans l’ignorance d’éventuelles condamnations ; le Ministère de la justice et le Ministère de l’éducation nationale travaillent ensemble à vérifier le casier judiciaire des 850 000 enseignants.

Des textes sont en préparation, mis le problème est de trouver un équilibre entre la protection nécessaire des enfants et la présomption d’innocence des mis en cause.

Or, en février 2016, un professeur de mathématiques  de Villemoisson-sur-Orge, dans l’Essonne, était mis en examen pour agression sexuelle sur mineur et détention d’images pédopornographiques et placé en détention provisoire. L’éducation nationale ne pourra pas se draper dans l’innocence de « celui qui ne savait pas » : une rapide enquête prouvera qu’elle savait que ce professeur avait déjà été condamné en 2006 en Grande-Bretagne pour « relations sexuelles avec un enfant à partir d’une position de confiance et pour voyeurisme » à 15 mois d’emprisonnement, condamnation versée à son dossier professionnel. Une commission paritaire académique réunie en formation disciplinaire en mars 2007 « avait conclu à l’unanimité de ses 35 membres à l’absence de sanctions ayant constaté que la matérialité des faits reprochés était sujette à caution et que le doute devait lui profiter « .

Protéger les enfants est trop souvent oublié, au profit de la protection de l’institution.

Or, que dit la loi ?

Elle est très claire : Le signalement aux autorités des abus de nature sexuelle à l’égard d’un mineur est obligatoire si la victime a moins de 15 ans. Le secret professionnel ne peut être invoqué pour s’y soustraire. La non-dénonciation est un délit puni de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.

Et la loi Dini-Meunier sur la protection de l’enfance, publiée au Journal Officiel le 16 mars 2016, enfonce encore le clou en modifiant les articles 434-1 et 434-3 du Code pénal. Elle supprime la référence aux mineurs de 15 ans : dorénavant, l’obligation de dénonciation concerne tous les actes de nature sexuelle commis sur les mineurs, jusqu’à l’âge de 18 ans.

Aucune exception n’est tolérable et tous sont concernés : les autorités religieuses comme les autorités administratives ou les simples citoyens. Lorsque plus aucun responsable hiérarchique ne protégera un prédateur, lorsque nul ne pourra bénéficier de l’impunité jusqu’ici trop fréquente, alors les enfants pourront espérer bénéficier de la protection à laquelle ils ont droit, dans un monde dit civilisé.

 

Aller plus loin :

L’enfant agressé et le Conte créatif, Marie-Christine Gryson-Dejehansart, édition Dunod.