Les annonces successives, au mois de septembre, du Ministre de l’intérieur puis du Président de la République, ont scellé le sort du bidonville de Calais et de sa population dont le chiffre a désormais dépassé les dix-mille selon les associations. Parmi eux, plus d’un millier d’enfants et d’adolescents y survivent, leur nombre exact est difficile à évaluer et plus de 80% d’entre eux sont des « mineurs non-accompagnés ».

La question inquiète tant l’absence de projet défini par le gouvernement dans la destruction de la Jungle est apparente. Quelles solutions concrètes seront proposées aux mineurs vivant dans le camp lorsque leurs abris de fortune seront détruits et que leur prise en charge, bien que précaire, par les associations, sera devenue impossible ?

Sous quelle forme s’effectuera le démantèlement ?

Durant l’été, le Défenseur des Droits avait averti le gouvernement quant à la situation des mineurs isolés hors de toute protection de l’Etat à Calais et de l’impérativité de trouver des solutions avant tout démantèlement du camp (voir ici, et là). Le 5 octobre, celui-ci s’est de nouveau adressé au gouvernement (ici) en interrogeant le Ministère de l’Intérieur sur les dispositions prises à l’égard des enfants et sa préoccupation quant-aux conditions dans lesquelles s’effectuera ce démantèlement. L’Etat avait promis d’effectuer des diagnostics individuels de tous les habitants. Moins de dix jours avant le début probable des opérations prévu le 17 octobre, rien n’a encore été fait.

Nous apprenons en parallèle que les forces de police à Calais ont reçu l’ordre d’arrêter au minimum quatre-vingts migrants par jour, arrestations suivies de possibles reconduites à la frontière ou dans le pays d’origine et notamment en Afghanistan depuis la semaine dernière. Il n’est pas à exclure que des mineurs paraissant plus âgés qu’ils ne le sont réellement et ne pouvant prouver leur âge réel, comme cela s’est souvent vu, puissent être victimes de cette mesure. Si l’on ne connaît pas tous les détails des opérations de démantèlement du camp, l’annonce d’un renfort de mille policiers aux deux mille déjà en poste à Calais laisse présager des violences à venir et des impacts traumatisants sur des enfants déjà affectés par leurs histoires et leurs voyages.

Des perspectives alarmantes quant-aux dispositifs de prise en charge des mineurs non-accompagnés

L’Aide Sociale à l’Enfance à Calais a mandaté l’association France Terre d’Asile pour se charger de la prise en charge des mineurs jusqu’à leur placement. Les structures disponibles semblent dérisoires face aux besoins à venir dans les semaines qui arrivent. Quelques lits disponibles dans le centre de la ville, quarante-cinq places dans la Maison du jeune réfugié de Saint-Omer à une cinquantaine de kilomètres et vingt-cinq autres prochainement disponibles à Arras. Il est très inquiétant d’imaginer l’hypothèse avancée par l’Etat d’un relogement possible regroupant des enfants non-accompagnés et des adultes, dans des Centres d’accueil et d’orientation (CAO) inadaptés à la protection de l’enfance.

Il est nécessaire de prendre en compte la volonté des enfants réfugiés de Calais de vouloir rejoindre l’Angleterre. Peut-on vraiment croire que des enfants ayant traversé des mers et des déserts au péril de leur vie et qui, chaque nuit, prennent des risques inouïs en tentant de monter sur des camions pour répondre à l’injonction de leurs parents, ou pour rejoindre leurs familles, abandonneront demain leurs projets ? La prise en charge forcée de ces enfants sera obligatoirement d’une très grande violence pour eux.

La position britannique face à l’accueil des enfants réfugiés

De l’autre côté de la Manche, la situation est encore plus difficile. Seulement soixante-douze enfants réfugiés à Calais ont pu bénéficier d’un regroupement familial en Angleterre alors que les associations estiment que plus de trois cents mineurs pourraient profiter de cette disposition du Règlement de Dublin. Malheureusement, les enfants ne sont pas toujours informées des possibilités juridiques. L’Etat français se repose entièrement sur l’action des associations de terrain pour se charger de l’enregistrement des mineurs. L’Angleterre quant à elle renvoie la balle en accusant la lenteur administrative française.

L’autre espoir venait de l’amendement voté au mois de mai par la Chambre des Lords à l’initiative de M. Alf Dubs, lui-même ancien enfant réfugié durant la Seconde Guerre mondiale, qui prévoyait d’accueillir plusieurs milliers de mineurs isolés en Angleterre. Le gouvernement britannique a fait blocage et le texte n’a finalement été accepté que sous la forme d’une permission pour les municipalités volontaires d’accueillir les enfants qu’elles souhaitent. Cinq mois plus tard, toujours aucun des enfants inscrits sur la « liste Dubs » n’a pu passer la frontière légalement. Il n’est pas à exclure, même si les espoirs semblent faibles, que quelques dizaines d’enfants puissent enfin bénéficier de cette loi britannique avant la destruction de la « Jungle ».

Souvenons-nous que le démantèlement de la Zone Sud du camp, aux mois de février et de mars 2016, avait causé la disparition de 129 enfants. En janvier, Europol faisait état, quant à elle, de plus de dix mille disparitions de mineurs isolés depuis le début de la crise migratoire.

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