Collectif pas de 0 de conduite - Enfance MajusculeLe collectif Pas de 0 de conduite interroge le concept de prévention, elle doit être prévenante, interdisciplinaire, présenter certaines qualités et se structurer dans des politiques publiques.

La prévention, c’est l’affaire de tous

Qui s’interroge sur la prévention chez l’enfant des difficultés de relation, d’apprentissage, de socialisation  ou  de  comportement,  en  vient immanquablement à la conclusion que mieux vaut intervenir tôt. Tôt bien sûr dans   l’émergence  d’un   problème,   et   même   avant,   et   tôt   dans   le développement de l’enfant. Certes, cette idée simple fait consensus. Soit. Mais ce  consensus tombe dès lorsqu’il s’agit de définir : que faire ? et comment ? C’est ce  débat que le collectif Pasde0deconduite porte depuis janvier 2006, autant parmi les spécialistes, praticiens, professionnels, et chercheurs, qu’avec les familles et les  politiques, dans une action et une réflexion citoyennes conjointes. C’est son originalité, sa force et sa subversion de ne pas laisser la question se régler dans la confidentialité des cabinets décisionnels et l’antre des laboratoires, plus ou moins scientifiques.

La prévention prévenante, une pratique pluridisciplinaire

Pourquoi ? Car nous pensons qu’une intervention auprès des enfants et des familles au nom de la prévention des problèmes des enfants est au carrefour des sciences humaines et biologiques, implique la prise en considération de variables entremêlées qui affectent l’enfant et sa famille, d’ordre médical, psychologique, mais aussi social, éducatif, culturel… A condition de ne pas confondre ces facteurs multiples avec des déterminants prédictifs hypothéquant le devenir des enfants. Les expériences et les pratiques qu’a présentées le collectif Pasde0deconduite lors du Forum de janvier 2012[1] nesont qu’une évocation des possibles parmi tant d’autres qui nappent le territoire français, invitées pour faire entendre ce qui caractérise de prévenante cette façon de penser et de faire de la prévention . Il en existe bien d’autres qui s’y sont reconnues : des services, des fondations, associations, porteurs d’innovations, trouvailles éphémères ou durablement actives. Locales ou généralisées, anciennes, nouvelles, connues, reconnues ou discrètes. De cette rencontre entre ces acteurs de l’accueil, du soin, de l’éducation, de l’aide, mais aussi de la culture, se dégagent d’une part les conditions requises, d’autre part les qualités requises, pour une prévention prévenante.

Les qualités d’une prévention prévenante[2]

  • L’approche prévenante de la prévention s’appuie sur la référence humanist

En cela « elle s’inscrit dans toute démarche qui consiste à éviter des dommages occasionnés à la personne, cela en prenant soin de sa dignité et en soutenant sa capacité à renouer la confiance, en l’autre et en soi »[3].

  • La prévention prévenante que nous soutenons face à l’approche prédictive et ciblée que nous dénonçons tient  sa  pertinence  de  ses  qualités ;  globale, pluridisciplinaire, multidimensionnelle, elle tient son efficacité et sa rigueur du fait qu’elle est cadrée par une éthique et une vision humaniste et interactive de l’enfance.
  • Etre dans une attitude prévenante implique un rapport au temps subjecti Le temps pour une prévention recevable par l’enfant et ses parents n’est pas nécessairement celui que les professionnels ou les grilles estiment et fixent.

« C’est dans la conscience de cet écart qu’une attention préventive précoce se différencie d’une intrusion préventive potentiellement délétère et parfois féroce. »

  • Cette attitude repose sur « le crédit à l’enfant des chemins qu’il saura trouver », des nœuds de souffrance qu’il aura à démêler pour franchir les obstacles ou dépasser les bloc Encore faut-il que les adultes ne centrent pas le regard sur le « trouble » seul, mais cherchent à identifier aussi ce qui fonctionne, ce qui est investi et mobilisable par l’enfant et son entourage.
  • L’approche prévenante de la prévention s’appuie sur une conception du développement de l’enfant, non comme une suite d’étapes linéaires programmées, mais au contraire, « dans une perspective historicisante, comme un [dis]continuum de mouvements délicats et complexes de créativité développementale où chaque changement d’état suppose et nécessite un réaménagement des positions précédentes ».
  • La prévention en petite enfance des difficultés et souffrances de l’enfant, en lien avec sa famille et son environnement, requiert une approche globale, multidimensionnelle et pluridisciplinaire car l’équilibre d’un enfant se source au tressage de mille points, dont son histoire transgénérationnelle, son équipement somatique, ses premières rencontres dans le cadre familial puis avec son entourage social, éducatif et culturel, ses conditions de vie, les multiples expériences qui en découlent…
  • Elle est efficace par des pratiques discrètes, cohérentes et particularisées, qui contextualisent les difficultés qui peuvent affecter tel ou tel enfant. Respectueuse de la confidentialité, des histoires, des choix et vicissitudes de la vie des familles, la prévention est ajustée à la singularité et la liberté des processus du développement psychique et de parentalité.
  • Une prévention humaniste et prévenante par sa souplesse et sa personnalisation laisse des ouvertures aux effets de rencontre et de surprise.

« Elle ménage une place à l’inattendu parce qu’elle se situe volontairement dans la logique du pari et non dans celle de la certitude ». De plus ce processus peut constituer « un projet de liberté pour l’enfant qui peut se frayer un espace de mobilité, fut-ce en passant par le débordement et l’imprévu » qui lui permettront d’accéder à une position subjective plus assurée et donc plus ouverte aux autres, aux apprentissages, aux contraintes. C’est alors que peut s’envisager une perspective d’éducation qui vise à « l’intériorisation par l’enfant de processus de limitation, à l’opposé de procédures de conditionnement réduites à l’installation d’un radar comportemental ».

  • On considère enfin que le travail sur le sens de tel ou tel comportement doit primer sur sa seule observation. Compréhension, à partir de toute forme d’expression qu’empruntent l’enfant et sa famille, à commencer par la parole ainsi que la création, le jeu, le corps. La mise sera donc davantage sur le dialogue intersubjectif avec l’enfant et ses parents que sur des réponses qui entérinent les caricatures produites par les grilles d’évaluation et autres protocoles standardisés de dépistage.

Propositions pour des politiques et des pratiques de prévention prévenante

  • Humanisante et éthique, la prévention prévenante favorise les solidarités entre enfants et entre parents pour soutenir au mieux les passages délicats de la vie, dans la pratique d’articulation cohérente, mais non coercitive, des prises en charges sociales, psychologiques, médicales ou judiciaires, sans confusion des genres.
  • Sur ces bases, dans le Manifeste « Petite enfance : pour une prévention prévenante », Pasde0deconduite a décliné ses propositions pour développer des politiques et des pratiques de prévention précoce prévenantes :

→  Promouvoir  des  conditions  favorables  d’accueil,  d’accompagnement  et d’éducation pour les enfants et leurs parents

  • conditions favorables à l’accueil et l’accompagnement personnalisés de la grossesse, puis de l’accouchement et des premiers jours de vie du bébé à la maternité ;
  • qualité des modes d’accueil de la petite enfance reposant sur des principes et des pratiques qui « favorisent une prise en compte de l’enfant et de sa famille dans une relation individualisée »[4] ;
  • développement de lieux sécurisants, favorisant l’implication des parents dans l’éducation tels que les LAPE (Lieux d’accueil parents- enfants) et les maisons vertes ;
  • formation des professionnels de santé et de la petite enfance, intégrant le travail interdisciplinaire et inter-services et les liens avec la recherche ; sensibilisation au rapport à l’enfant dans l’esprit de D.W. Winnicott et de F. Dolto, « relative au développement du bébé et de l’articulation somato-psychique qui se joue dès la fin de grossesse et la naissance », et dans un projet de co-éducation entre parents et professionnels ;
  • conception et place d’une école maternelle qui demeure « à l’abri des injonctions de rapidité, d’efficacité, de rentabilité et de conformité » et qui préserve les enfants d’une pression aux apprentissages scolaires et à l’évaluation des performances ; – attribution   à   l’école   des   possibilités   et   moyens   pédago-giques, organisationnels, en formation des maîtres et en effectifs des classes pour qu’elle prenne en compte les difficultés et les potentialités de tous les enfants ;
  • promotion de pratiques du type des « ateliers philo » à l’école ; échanges des savoirs et participation des parents ;
  • mise à disposition de biens culturels dans tous les lieux où vivent des enfants qui « ouvrent leurs désirs, leurs appétits d’être et de devenir, leur créativité en respectant leur statut d’enfant et leur droit à vivre leur enfance » ;
  • développement de lieux et de collectifs au sein desquels les enfants peuvent apprendre à partager les expériences du monde qu’ils ont en commun, au premier rang desquels les lieux de culture, de développement des capacités corporelles et de jeu.

→  Soutenir les services publics de santé de l’enfance

  • développement de services de santé scolaire et de services sociaux scolaires dignes de ce nom dès la maternelle et revitalisation massive des RASED ;
  • développement de services de soins préventifs et curatifs pour les enfants et les familles, dans le domaine somatique et psychique, accessibles financièrement et géographiquement à tous : services de PMI et de planification familiale, maternités et services de pédiatrie et de pédopsychiatrie hospitaliers, centres médico-psychologiques infanto- juvéniles (maintien en particulier de la politique de secteur en matière de psychiatrie de l’enfant) et réseaux de périnatalité.

→  Prendre appui sur la Convention internationale des droits de l’enfant

  • une protection sociale garantie à toutes les familles ;
  • l’amélioration des conditions de vie et de logement des enfants vivant en situation de précarité ou de pauvreté ;
  • l’assurance du droit de vivre en sécurité et en famille, quelle que soit la situation administrative des parents ; – le rétablissement de l’Institution indépendante de Défenseur des enfants.
  • En appui sur les pratiques pertinentes de prévention prévenante, nous réaffirmons notre détermination : avec les familles, avec les professionnels de santé, de l’enfance, du social et de la culture, convaincre les élus, les responsables politiques et institutionnels de s’engager pour une politique digne des enjeux de la petite enfance qui intègre les conditions et les qualités d’une prévention prévenante.

[1] cf. le livre édité par le collectif Pasde0deconduite à l’occasion du Forum des 27 et 28 janvier 2012 : « La prévention prévenante en action », éditions Erès, janvier 2012

[2] Ces conditions pour une prévention prévenante ont été exposées dans les ouvrages publiés depuis 2006 par le collectif Pasde0deconduite, notamment sous les plumes de S. Giampino, E. Lenoble, F. Ansermet, P. Delion, B. Golse, S. Missonnier, P. Suesser

[3] Les citations figurant dans cette partie de l’article sont empruntées aux auteurs cités à la note 2

[4] Pour les références des citations, se reporter à la lecture du Manifeste Petite enfance : pour une prévention prévenante. Toulouse, Erès 2011