Une journée d’interventions pour mieux comprendre et combattre la pédocriminalité en ligne

La Commission des Avocats d’enfants du Barreau des Hauts-de-Seine organisait, le 2 décembre à Nanterre, son colloque annuel autour du thème suivant : « L’enfant abusé : de l’écran au passage à l’acte« . En réunissant de nombreux professionnels de l’enfance, cette journée de formation a permis de rappeler la nécessaire lutte pour une meilleure protection des mineurs, face à la pédocriminalité en ligne.

Repérer pour mieux prévenir

Parmi les diverses techniques utilisées par les prédateurs, on peut retrouver :

– Le Grooming, ou « pédopiégeage » : autour de questions anodines, le prédateur met l’enfant en confiance, puis sous emprise, grâce à des manipulations psychologiques.
– La corruption de mineur : en se servant de repères affectifs, et en utilisant des personnages aimés par l’enfant, on attise sa curiosité. Les conversations se transforment rapidement et prennent un caractère sexuel, qui crée chez l’enfant de la sidération.
– La Sextorsion : il s’agit là d’un chantage, à caractère sexuel ou financier. Ayant piégé l’enfant par internet, le prédateur le menace de divulguer des photos compromettantes.
– Le Live-streaming, ou « Viol sur commande » : aujourd’hui, 1 enfant sur 100 en est victime. Il s’agit d’acheter un enfant, et de l’utiliser à distance pour mettre en scène tous les fantasmes sexuels du prédateur. Ce phénomène, ayant émergé en 2012 aux Philippines, s’est répandu partout dans le monde. A l’ère du numérique, on assiste à une explosion de ces techniques, pouvant également s’expliquer par la vulnérabilité des enfants de plus en plus sur les écrans, et des pédocriminels à la présence en ligne de plus en plus accrue.

On peut également expliquer l’essor de ces formes de pédocriminalité par une plus grande accessibilité à internet, qui requiert peu de moyens, ainsi que l’avènement de l’intelligence artificielle (IA), désormais à la portée de tous.

Des chiffres toujours aussi alarmants

D’après la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE, chiffres 2020), 5,5 millions d’adultes ont été victimes de violences sexuelles dans leur enfance. Une enquête IFOP de 2024 réalisée à l’initiative de l’association Face à l’Inceste révèle, quant à elle, le chiffre de 7,4 millions, soit plus de 10% de la population française. Et ces chiffres se ressemblent, partout dans le monde… En 2023, 65 300 plaintes de mineurs victimes de violences sexuelles ont été enregistrées par les services de sécurité. Chaque année en France, 160 000 enfants sont déclarés victimes de violences sexuelles par la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE). C’est trois enfants par classe, un toutes les trois minutes

En 2023, 318 000 signalements de contenus pédocriminels échangés en ligne en France ont été transmis à l’Office mineurs (OFMIN), service d’enquête spécialisé dans la lutte contre la pédocriminalité. D’après la courbe d’évolution du nombre de signalements reçus entre 2010 et 2023, l’OFMIN constate dans notre pays une augmentation de 12 000% des crimes pédocriminels en l’espace d’une dizaine d’années.

Qu’est-ce qu’un contenu pédocriminel ?

Un contenu pédocriminel correspond à toute représentation, par quelque moyen que ce soit, d’un enfant s’adonnant à des activités sexuelles explicites, réelles ou simulées, ou toute représentation des organes sexuels d’un enfant, à des fins principalement sexuelles.

Plus précisément, il s’agit :

– D’images, audios et vidéos mettant en scène des agressions sexuelles et/ou des viols de mineurs
– D’un matériel obscène non sollicité envoyé aux enfants (corruptions de mineurs)
– D’images, audios et vidéos sexuels autoproduits par des mineurs sous la contrainte, la menace ou la manipulation (sextorsion, grooming) ou partagé sans consentement (sexting)
– D’images générées par l’intelligence artificielle (IA), dont les nouveaux contenus sont réellement inquiétants*

Traite des êtres humains et proxénétisme

Au sein de la direction nationale de la police judiciaire, l’office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) existe depuis 1958, et lutte contre la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle (TEHES) et le proxénétisme.

En 2023 :

53 réseaux ont été démantelés, sur les 445 affaires de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle (TEHES)/proxénétisme.
1000 mis en cause identifiés.
1051 victimes identifiées (53% sont françaises, 45% sont mineures, et 29% originaires d’Amérique Latine et des Caraïbes).
9 993 388 € ont été saisis sur l’ensemble du territoire national (dont 1 124 952 € par l’OCRTEH).
Entre 35 000 et 40 000 annonces ont été quotidiennement mises en ligne sur le site internet principal pour ce type de prestations, à caractère prostitutionnel.

Entre 2023 et 2024, on remarque la mutation inquiétante de la prostitution, d’une prostitution de voie publique à celle logée, ainsi qu’une digitalisation de la prostitution. De même, on remarque la place importante du proxénétisme de « proximité », notamment dans l’exploitation de victimes mineures. En France, c’est la principale forme de proxénétisme (56%), avec un nombre d’affaires ayant décuplé entre 2015 (21) et 2023 (250). Les mineurs représentent 59% des victimes de proxénétisme de proximité, et 25% des victimes de l’ensemble des affaires traitées.

Un plan d’action national répressif de l’OCRTEH a été lancé en 2024, dont les résultats définitifs devraient voir le jour en 2027.

Qu’est-ce que le Caming ?

Le Caming consiste à « proposer, moyennant rémunération, une diffusion en direct d’images ou vidéos à contenu sexuel, le client pouvant donner à distance des instructions spécifiques sur la nature du comportement ou de l’acte sexuel à accomplir ».

Fin 2023, 395 annonces renvoyaient vers des pages de Caming sur le site Sexemodel. Or, cette forme de prostitution n’est pas considérée comme tel selon la jurisprudence, n’impliquant aucun contact physique. L’OCRTEH a donc réaffirmé, lors de ce colloque, la nécessité de redéfinir la prostitution dans le code pénal.

Que dit-on à une mineure soupçonnée de prostitution ? Comment nommer le danger ? Aujourd’hui, l’affaire Zahia ayant beaucoup contribué, le message transmis aux jeunes est celui de la liberté à disposer de leur corps. D’où la nécessité d’instaurer un dialogue avec eux, face à la banalisation de ces faits, chez ces jeunes qui évoquent des situations qu’elles revendiquent comme « maîtrisées ». Des situations d’une violence extrême, qui fracassent leurs parcours de vie et les déshumanise. Il faut alors trouver le moyen de leur rendre leur place de victime, à travers une réparation psychique, physique, mais également financière, pour leur permettre, a minima, de s’acheter du temps pour elle, afin de mieux se reconstruire…

* L’IA générative, nouvelle arme de la pédocriminalité (Rapport de la Fondation pour l’Enfance, octobre 2024)