A l’aube de la première Conférence ministérielle mondiale de lutte contre les violences faites aux enfants, qui se tiendra les 7 et 8 novembre à Bogotá, une projection-débat sur le thème des violences sexuelles sur les enfants en ligne était organisée le 17 octobre, au Club de l’Étoile à Paris, en présence de nombreux acteurs associatifs dont Enfance Majuscule faisait partie. A l’initiative de la coalition française ChildSafetyON, la projection de témoignages, suivie de l’intervention d’expertes, a servi à réaffirmer l’engagement de ces nombreux organismes de protection de l’enfance, dans la lutte contre les crimes d’abus et d’exploitation sexuels en ligne.
La coalition ChildSafetyON appelle la France à :
– S’engager au niveau national : la lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants, y compris en ligne, doit être une priorité politique
– Responsabiliser les plateformes numériques : la sécurité des enfants doit être au cœur de la conception et la gestion des services numériques
– Consulter et faire participer des survivant·e·s, des enfants et des jeunes à toutes les activités préparatoires et les initiatives visant à mettre fin aux violences contre les enfants
– Investir dans la prévention et la sensibilisation des enfants, parents et professionnels pour protéger les enfants des dangers numériques
– Renforcer la coopération internationale : la pédocriminalité en ligne ne connaît pas de frontière. Les États membres de l’ONU doivent agir ensemble.
Quelques chiffres…
Entre 2011 et 2021, on assiste à une augmentation de 6000% des conduites pornographiques. En 2023, 100 millions d’images pédopornographiques ont été détectées partout dans le monde, et 35 millions de signalements (dont 318 000 en France) remontés à l’OFMIN d’après Véronique Béchu, autrice de “Derrière l’écran” et membre de l’Office Mineurs. Aujourd’hui, 75% de ces cas sont classés sans suite, un chiffre dramatique qu’une équipe de 50 membres peine aujourd’hui à faire chuter. L’OFMIN espère atteindre cet objectif, grâce à un renforcement des équipes pour arriver à 85 membres d’ici 2025.
Les enfants en situation de handicap sont 4,6 fois plus souvent victimes de violences sexuelles en ligne, et une enquête datant de 2023 démontre par une étude que 9 enfants autistes sur 10 sont victimes de violences sexuelles (51% de viols). La moitié de ces enfants victimes ont moins de 14 ans, et un tiers moins de 9 ans… et, plus l’on cumule les facteurs de vulnérabilité, plus ces enfants sont susceptibles d’être victimes de pédocriminalité… Les différentes formes de handicaps (difficultés à entendre, courir, communiquer…) les empêche d’avoir l’outillage suffisant à leur disposition pour mieux se protéger. Peu d’enquêtes s’inquiètent de ces enfants : sur 13 800 études effectuées au sujet des enfants victimes de violences sexuelles, seules 12 concernent ceux en situation de handicap.
Si “la société aux yeux bandés” ne s’y intéresse pas, c’est là aussi un facteur de vulnérabilité déplore Marie Rabatel, Présidente de l’Association Francophone de Femmes Autistes (AFFA). Ces enfants, malheureusement très souvent isolés socialement, sont des proies de choix pour les prédateurs sexuels en ligne.
Une banalisation inquiétante des contenus pédopornographiques
Dans son rapport 2022/2023, le Haut Conseil à l’Égalité (HCE) évalue à 96% le nombre d’images signalées concernant des petites filles. Ces chiffres effarants sont le reflet d’une érotisation et banalisation de la pédopornographie, explique Céline Piques, membre du HCE et porte-parole de l’association Osez le Féminisme. A l’heure actuelle, 5 grandes plateformes contrôlent l’ensemble de ces contenus, fonctionnant par une monétisation par le trafic.
La surenchère, avec à la clé des vidéos d’une extrême violence mettant en scène diverses situations de pédocriminalité, concerne principalement les garçons. En effet, 51% de ceux âgés de 12 ans vont régulièrement sur ces plateformes, et 65% des 16/17 ans consomment ces vidéos de manière massive et assumée. Le mot-clé “Teen” (ado) concerne 1,4 millions de vidéos, avec l’érotisation de crimes sexuels, telle que l’initiation au rapport sexuel sous forme de viol, et celui de “Daddy” (Papa) 130 000 vidéos avec des situations de pères incestueux. Faire croire aux jeunes que c’est cela la sexualité, c’est là le meilleur moyen de normaliser l’ensemble de ces violences…
Surexposition sur internet dès le plus jeune âge
Internet est l’outil le plus puissant donné aux pédocriminels, utilisé pour le “grooming” ou pédopiégeage (la sollicitation d’enfants à des fins sexuelles, ou pédopiégeage, est une pratique où un adulte se « lie d’amitié » avec un enfant dans le but de commettre des abus sexuels à son encontre). Surtout lorsque l’on sait que l’âge moyen de la première utilisation des réseaux sociaux est de 8 ans, et que les enfants ne connaissent pas encore les risques et paramètres de privatisation. Céline Piques rappelle que “ce n’est pas un problème technique, le contrôle d’âge. C’est un rapport de force avec les géants du numérique et les sites pornographiques”.
Il semble, par ailleurs, qu’il soit encore nécessaire de rappeler que l’exposition des photos de nos enfants, dès leur plus jeune âge, est un réel danger pour eux, immédiat ou latent : 50% des images sur les sites pédopornographiques sont, à l’origine, des photos tout à fait anodines mais sexualisées, soit par la communauté d’internautes, soit au moyen de l’intelligence artificielle. Alors, malgré quelques avancées législatives, telle que la reconnaissance depuis 2021 du mandat de viol (viol sans contact physique) en tant que crime passible de 7 ans de prison, le chemin semble malheureusement encore (trop) long, avant que les plateformes hébergeuses de ces contenus, ou encore Pharos, n’y mettent fin…
Une conférence mondiale historique
La première Conférence ministérielle mondiale pour mettre fin à la violence contre les enfants se tiendra les 7 et 8 novembre 2024, à Bogotá, en Colombie. Ministres, hauts fonctionnaires gouvernementaux, organisations internationales, ONG, survivants, enfants et jeunes se réuniront, afin de promouvoir des changements politiques, mobiliser les ressources et montrer que la prévention de la violence est possible. Lorsque l’on sait que l’espérance de vie des victimes est raccourcie de 20 ans, il est grand temps que les États prennent à bras le corps l’article 19 de la Convention relative aux droits de l’enfant, adoptée le 21 novembre 1989…
Article 19
1. Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié.
2. Ces mesures de protection doivent comprendre, selon qu’il conviendra, des procédures efficaces pour l’établissement de programmes sociaux visant à fournir l’appui nécessaire à l’enfant et à ceux à qui il est confié, ainsi que pour d’autres formes de prévention, et aux fins d’identification, de rapport, de renvoi, d’enquête, de traitement et de suivi pour les cas de mauvais traitements de l’enfant décrits ci-dessus, et comprendre également, selon qu’il conviendra, des procédures d’intervention judiciaire.