COLLOQUE | Des outils préconisés par la CIIVISE pour mieux recueillir la parole des enfants victimes de violences sexuelles

Ce mardi 22 novembre 2022, Enfance Majuscule s’est rendue à un colloque destiné aux professionnels de l’enfance organisé par la CIIVISE qui, à cette occasion, présentait son livret de formation des professionnels. Ce livret a été conçu comme une boite à outils, destinée à permettre à ces professionnels de repérer et signaler les violences sexuelles faites aux enfants.

TÉLÉCHARGER LE LIVRET

 

C’est ainsi que tout naturellement, la CIIVISE a organisé plusieurs tables rondes animées par des spécialistes de la question, qui ont participé à la conception et réalisation de cet outil. Si le moindre doute sur la nécessité d’un tel outil existait encore, il était rappelé les chiffres et statistiques suivants :

  • En France, 3,9 millions de femmes et 1,5 millions d’hommes ont été victimes de violences sexuelles lorsqu’ils étaient enfants, soit une personne sur 10
  • Le risque pour un enfant handicapé d’être victime de violences sexuelles est 2,9 fois plus important
  • Dans 60% des cas pour les femmes et 37% chez les hommes, leur violeur ou leur agresseur fait partie de leur famille ou de leur entourage proche
  • 95% des agresseurs sont des hommes et il peut s’agir du père, de l’oncle, du beau-père, du grand-frère, du demi-frère ou du grand-père notamment
  • En moyenne les violences sexuelles commencent lorsque l’enfant est âgé de 7 ans mais cela peut débuter dès le retour de la maternité
  • Moins de 7% des plaintes aboutissent à une condamnation

Il est rappelé tout de même une évolution législative, et notamment la grande loi d’avril 2021, qui va vers une meilleure prise en compte des besoins de l’enfant dont le premier est celui de sa sécurité. C’est principalement autour de cette notion que seront développés les outils pour recueillir la parole de l’enfant.

Ernestine Ronai, psychologue (Observatoire Départemental des Violences faites aux Femmes de Seine-Saint-Denis), explique que pour repérer, protéger et mettre en sécurité, il est nécessaire de comprendre la stratégie de l’agresseur, comment il a mis en place son emprise et quel moyen il a utilisé. Elle rappelle que l’emprise est un mécanisme psychologique qui a pour objectif de prendre le pouvoir sur l’autre, en prendre possession, le placer sous sa domination. Elle poursuit en indiquant que, dans une relation avec un enfant, la relation est initialement inégalitaire et asymétrique. L’agresseur va ainsi alterner entre la séduction, destinée à créer la fascination, et la menace, créant ainsi une dépendance affective. Il crée ainsi une confusion qui vise à paralyser la victime et la place dans un état de sidération permanent, de sorte que l’enfant n’est plus en mesure de distinguer ce qui est normal de ce qui ne l’est pas. C’est ce qu’Ernestine Ronai appelle « l’embrouille ». La forme de l’emprise sera différente selon la situation et le lien qui existe entre la victime et l’agresseur. Mais celui-ci semble avoir un fonctionnement et un processus bien déterminé pour être efficace, qui consiste à :

  • Isoler pour empêcher l’enfant de trouver de l’aider et mieux le contrôler
  • Instaurer un climat de peur, de terreur et d’incompréhension
  • Inverser la situation de culpabilité pour la transférer sur l’enfant et notamment lui faire croire que c’est lui qui veut, qui aime cela et qui le provoque.

Comprendre le fonctionnement de l’agresseur et sa stratégie permet de lutter contre cette culpabilité qui envahit la victime. La psychologue insiste également sur le fait que les signaux d’alertes et les révélations de violences par des enfants ne sont possibles que dans un climat de sécurité. Muriel Salmona, psychiatre, rappelle quant à elle toutes les conséquences physiques et psychiques des violences sexuelles faites aux enfants, qui commencent enfin à être reconnues auprès d’instances internationales comme de la torture. Elle rappelle des statistiques sur l’un des conséquences de telles violences :

  • Une fille victime de violence sexuelle étant enfant à 16 fois plus de risque d’être victime de violence à l’âge adulte
  • Un garçon victime de violence sexuelle étant enfant à 14 fois plus de chances d’en commettre lui-même à l’âge adulte.

Le court métrage « Mélissa et les autres » réalisé par Johanna Bedeau a également été diffusé, et illustre les possibilités tentaculaires d’incestes mais également d’impunité. Tiré d’évènements réels, ceux-là ont été mis en scène dans ce court métrage :

Trois jeunes filles recueillies dans un foyer dédié à protéger et éloigner des enfants victimes d’incestes évoquent ce qu’elles ont vécu, à commencer par le viol d’un grand-père, d’un beau-père et de cousins, puis la stratégie de l’agresseur et l’état de sidération de la jeune fille victime, et enfin le traitement pénal et judiciaire de ces crimes.

Il faudra retenir que la première règle du foyer où ces filles sont accueillies est : il ne peut pas exister de secret entre un enfant et un adulte.

Pour expliquer certaines des difficultés à recueillir la parole de l’enfant, le docteur Nicolas Leble, pédopsychiatre, rappelle que l’enfant :

  • S’adresse à un adulte alors que son agresseur est un adulte dont il n’a pas été protégé par les autres adultes
  • A déjà certainement parlé mais n’a pas été entendu

L’enfant va souvent s’exprimer, révéler à un moment où l’adulte ne s’y attend pas, dans un contexte qui n’est pas attendu ni adapté pour l’adulte, à un moment où quelque chose revient à l’enfant (jeu, nudité, sport, débat) ou comme une bouteille à la mer quand il s’agit d’un ado. Ce moment est primordial et il est parfois unique, de sorte que l’adulte ne doit surtout pas l’ignorer ou le rater. En effet, il s’agit d’un moment très stressant pour l’adulte qui reçoit et entend la révélation, il faut donc que le professionnel de l’enfance s’entraine à le recevoir et l’accueillir comme il s’entraine aux gestes de premiers secours. L’adulte doit s’assurer qu’il a du temps et qu’il ne sera pas dérangéou encore que l’enfant n’ait pas l’impression de déranger au risque de laisser passer sa révélation. Il rappelle qu’il n’existe aucune chance qu’il s’agisse d’une fausse révélation si l’adulte pose des questions simples et ouvertes. Il faut enfin savoir s’arrêter quand on a « un peu de qui, un peu de quand et un peu de comment ». Le Docteur Leble précise que le fait que l’enfant se rétracte ou change son récité est parfaitement normal et est un même un indice de plausibilité.

Marie Rabatel, Présidente de l’Association Francophone des Femmes Autistes, revient quant à elle sur les violences sexuelles commises sur les enfants en situation de handicap. Elle indique que ces violences sont bien plus nombreuses sur ces enfants, notamment du fait de leur vulnérabilité accrue et de l’impunité de leurs auteurs. En effet, elle explique que si le protocole NICHD est une méthode qui est efficace pour recueillir la parole de l’enfant, elle n’est ni, infaillible ni universelle, et n’est absolument pas efficace avec les enfants en situation de handicap dont la communication est non-verbale. Ainsi, les enfants en situation de handicap et souffrant de handicap invisible ne savent pas communiquer de manière verbale sur les violences qu’ils subissent ou ont subi, et ne sont bien souvent pas entendus. En outre, la persistance des violences ou l’ignorance des violences vont créer des psycho traumatismes qui seront expliqués par le handicap, alors que rien n’est moins vrai. La situation est sans fin et le cercle éminemment vicieux.

Elle milite donc pour des outils de communication accessibles à ces enfants plus vulnérables, qui souffrent de handicap mais aussi aux enfants qui souffrent de handicaps invisibles. Elle explique et démontre que nous disposons d’outils utiles à tous les enfants et favorisons encore plus la libération de la parole de tous les enfants. A ce titre, il faudra relever que des enfants qui ne souffraient pas de handicap développent de graves handicaps consécutifs, précisément du aux violences dont ils sont victimes, rendant indispensable l’ouverture à des communications différentes et élargies.

Jean-Michel Breton, Commandant de division au sein de la Section Recherches de Versailles, évoque quant à lui l’importante responsabilité qui pèse sur le policier ou le gendarme qui va auditionner l’enfant, suite à ses premières révélations ou aux signalements déclenchant l’enquête pénale. Quand l’enfant est auditionné par la police ou la gendarmerie, ce n’est donc pas la première fois qu’il a parlé, mais son audition sera unique ; il est en effet rarissime qu’il soit organisé une seconde audition d’un enfant, car cela implique une très grande logistique et se trouve être un immense bouleversement pour l’enfant, que le Parquet souhaite le plus souvent éviter. Cette unique audition est donc l’acte prépondérant de l’enquête judiciaire à laquelle il sera toujours reporté et référé, étant ici précisé que l’audition et enregistrée et filmée.

Comme il l’a été évoqué tout au long de ce colloque, la priorité pour l’officier qui auditionne l’enfant est que ce dernier se sente en sécurité. Il s’agit donc de le rassurer et de le placer dans une situation où il se sente protégé pour s’exprimer librement. Cet exercice est extrêmement difficile pour l’officier, qui n’a pas de seconde chance et qui doit créer ce climat de protection et de confiance en très peu de temps. Et durant 2 à 3 heures, l’officier va devoir parler avec l’enfant d’agression, de sexualité et de violence.

La pression pour l’enquêteur qui auditionne l’enfant est donc très importante et Jean-Michel Breton met en garde les professionnels à ce sujet. Il recommande une audition à deux, en binôme, l’un avec l’enfant, l’autre qui se trouve derrière la vitre et suit l’audition de manière à indiquer à son collègue, durant les pauses, les points qui pourraient être à éclaircir ou les éléments qui ont pu échapper à l’enquêteur qui auditionne. Il faut ici rappeler qu’un enfant qui ne dit rien, c’est une impunité assurée pour l’agresseur, de sorte qu’il est indispensable de tout comprendre, ne rien rater au discours et révélations de l’enfant qu’elles soient totalement formulées, limitées ou saccadées.

Il recommande également aux enquêteurs de se focaliser sur le seul objectif de recueillir la parole de l’enfant sans s’interroger sur les attentes du procureur ou du juge en charge de l’affaire ce qui risquerait de le faire sortir de son rôle. Il lui apparaît nécessaire également que l’enquêteur formule à l’enfant auditionné le fait qu’il le croit et qu’il le protège.

Les grands principes de l’audition de l’enfant sont ensuite rappelés :

1° S’adapter au niveau de langage, d’expression et de développement cognitif de l’enfant, ce qui n’est pas nécessairement relié à son âge. Il est ainsi toujours demandé à l’enfant en début d’audition de raconter un évènement neutre, sans lien avec les faits pour lui permettre de se détendre et évaluer sa capacité à développer un discours, son expression et sa compréhension.

2° Aborder de la manière la moins suggestive possible les faits pour ne pas induire la réponse de l’enfant. Il rappelle le protocole de NICHD qui est adapté et mis à jour régulièrement (ce protocole n’est pas considéré comme adapté aux enfants qui souffrent d’un trouble de la communication et utilise de la communication non verbale).

3° Se montrer neutre et bienveillant. Cela implique d’assurer à l’enfant que l’enquêteur va l’accompagner même durant les moments les plus difficiles du récit. Cela nécessite aussi de l’enquêteur qu’il reste concentré et disponible.

4° Disposer d’un lieu accueillant, confidentiel et sans distraction.

Enfin, chaque phase de l’audition est primordiale et aucune d’elle ne doit être occultée :

1°Phase d’accueil (début de la mise en confiance), l’enquêteur va présenter à l’enfant la salle où il va être entendu.

2° Phase pré-déclarative, l’enquêteur va se présenter, lui expliquer qu’il va prendre des notes pendant que l’enfant parlera et lui exposera les règles de bases et notamment que l’enfant a le droit de ne pas comprendre, de dire qu’il ne sait pas ou encore de corriger l’enquêteur.

3° Phase déclarative

4° Phase de clôture, cette phase est aussi importante que la phase de mise en confiance. L’enfant se rend alors compte que l’audition prend fin et il risque d’avoir un sentiment d’abandon ou que sa protection prend fin. Cette phase n’est surtout pas à occulter.

Un représentant de l’Éducation Nationale prend également la parole évoquant, lui aussi la difficulté pour un enseignant ou un professionnel de l’Éducation nationale de recevoir l’information de l’enfant et de le signaler. Il insiste sur le fait qu’il ne faut pas rester seul avec ces révélations et la question du signalement. Il rappelle la nécessité de rester factuel. Enfin, il souligne les risques importants d’échec et phobies scolaires consécutifs aux violences sexuelles et insiste sur la nécessité de mettre en place des dispositifs d’aide adaptés afin d’éviter d’ajouter au traumatisme de la violence celui tout aussi violent et isolant de l’échec scolaire. S’agissant du signalement lui-même, il est clairement recommandé de signaler en cas de doute, plutôt que de passer à côté d’une situation de violence.

Emmanuel Piet, Médecin a la PMI, a clôturé ce colloque dédié aux professionnels par une mise en situation particulièrement frappante et questionnant. Quelle réaction avoir, lorsqu’un enfant vous révèle en une phrase particulièrement imagée et claire, qu’il a été violé par son père ? « Hier soir mon papa m’a obligé à mettre son zizi dans ma bouche ». Les questions et les premières réactions auprès de l’enfant sont souvent inadaptées :

  • Est-ce que tu en as déjà parlé à quelqu’un ? L’enfant risque de se rétracter ou se fermer de peur d’être réprimandé pour ne pas l’avoir dit avant ou bien de peur de ne pas être cru s’il l’a dit avant et qu’il n’y a pas eu de réactions
  • Est-ce que c’est la première fois ? L’enfant risque de se demander si une seule fois ce n’est pas suffisant, ou encore si ce n’est pas la première fois il pourra en être responsable.
  • Ce n’est pas normal. L’enfant risque de prendre cette affirmation pour lui, s’interrogeant sur le fait qu’il n’est pas normal.

Au bout de quelques échanges avec les professionnels présents, Emmanuel Piet demande de répéter la révélation de l’enfant. Aucune des premières et plus nombreuses propositions ne correspond à la révélation précitée. Dans la majorité des cas et propositions, il n’existe plus le terme de contrainte « obligé » qui est souvent remplacé par un terme équivalent à une demande et excluant le passage à l’acte : « hier mon papa m’a demandé… », « hier soir mon papa a voulu… ».Le danger et le risque d’impunité se situent donc ici aussi, au niveau du cerveau du professionnel, qui a du mal à recevoir une information aussi abjecte. Au risque d’avoir l’image de la révélation qui est insoutenable, le cerveau va édulcorer progressivement les termes de la révélation.

Les recommandations à retenir :

  • Noter immédiatement les révélations et les mots de l’enfant
  • Lui dire : « ton papa n’a pas le droit de faire ça, tu n’y es pour rien, je vais t’aider ».

TÉLÉCHARGER LE LIVRET