Il est inscrit dans les programmes du CM2, « La Reproduction » ; nous présentons la stratégie d’UNE enseignante, pour qui il est important d’aborder toutes les questions que se posent les élèves sans tabou, ce qui est rare, surtout lorsque les questions touchent à l’intime et que la formation est inexistante.
L’enseignante et le contexte
Estelle D. n’est plus une débutante, elle a une quinzaine d’années d’ancienneté et a en charge un CM2 pour la 3è année. Elle a enseigné à peu près à tous les niveaux de l’école primaire. Dans son école, l’équipe enseignante a décidé que tout ce qui relevait du corps humain serait enseigné au CM2, ce qui semblait plus judicieux, les élèves ayant une plus grande maturité.
La stratégie pédagogique
Dans la classe d’Estelle D., l’éducation à la sexualité se fait par l’entrée dans le programme de sciences sous l’étiquette « Reproduction ». Comme dans toute leçon de sciences l’enseignante commence par un questionnement des élèves. Sur certains thèmes les questions sont à main levée. Pour la reproduction, les élèves posent leurs questions par écrit, afin de délier les langues, d’éviter gênes, et moqueries. Les questions sont ensuite classées avec les élèves, ce qui permet d’organiser le programme des leçons sur plusieurs séances, programme qui n’est évidemment pas tout à fait le même selon les classes. Et même si la maitresse dispose de documents clefs quasi incontournables, si certaines questions ne sortent pas, elles ne sont pas abordées et en trois ans une seule a été censurée. L’enseignante reporte les questions sur une grande feuille et au fur et à mesure des leçons et des réponses apportées, elle raye les questions.
Les chapitres abordés
Cette année le programme s’est organisé en plusieurs chapitres :
- Les appareils génitaux (homme et femme)
- Et comment ils se mettent en place
- Comment on fait les bébés et comment on fait pour ne pas en faire ?
- Comment le bébé grandit dans le ventre de la mère ?
Avec une question nouvelle apparue cette année sur les maladies sexuellement transmissibles, qui sera sans doute traitée dans le chapitre comment on fait les bébés.
Elle peut aussi demander aux élèves de faire le schéma d’une femme enceinte et après le cours, de refaire ce schéma par groupes de cinq élèves afin d’évaluer, les acquis.
La formation
Estelle D. n’a pas reçu de formation spécifique sur l’éducation à la sexualité, mais elle est de formation scientifique, elle adore les sciences et fait entrer les élèves avec plaisir dans les expérimentations. Les élèves savent qu’ils peuvent tout demander à la maitresse, dans un espace cadré bien sûr. Il n y’a pas de tabou, c’est un postulat de travail.
Des questions taboues ?
Lorsqu’elle enseignait en maternelle en début de carrière, elle aurait peut-être été gênée à aborder certaines questions, mais aujourd’hui, son postulat est que, en tant qu’enseignante, elle a le devoir de le faire. Elle sait que dans certaines familles ces questions sont taboues. Et, elle dit le faire très naturellement, sans être gênée par les questions des enfants.
Elle se sent informée personnellement sur ces questions et elle a consulté des revues, des sites.
Dans l’école, il y a deux CM2 et c’est elle qui prend en charge les sciences ; comme pour les autres disciplines, elle évoque son travail avec sa collègue. Elle prend en charge l’éducation à la sexualité avec l’entrée reproduction, seule, sans intervenant extérieur. Elle n’a pas spécialement présenté ce travail aux parents, et comme pour d’autres sujets qui peuvent être délicats (2ème guerre mondiale), elle considère que ce qui est dans les programmes doit être enseigné sans consultation préalable des parents. Et d’ailleurs sur les trois ans, il n’y a pas eu de réactions de la part des parents. Il se trouve qu’elle a dans sa classe, le fils de la collègue de l’autre CM2 qui se montre ravie, que les questions soient abordées par l’enseignante, plutôt que par elle et quand son fils lui pose une question délicate, elle le renvoie vers sa maitresse.
Les réactions des élèves
En ce qui concerne les réactions des élèves, celles-ci varient au cours de l’année.
Au début, quand les questions sortent, certains élèves sont gênés, ils se renferment ou gloussent. Les autres se montrent très intéressés, ils ont envie de savoir, ça concerne leur corps, ils savent qu’à la maison ça peut être compliqué.
Au fil de l’année, cela évolue, les choses deviennent beaucoup plus naturelles. En début d’année, si au moment du cours sur la digestion le mot « anus » est prononcé, ça glousse et il y a ensuite de moins en moins de gêne.
En principe le thème est travaillé sur la dernière partie de l’année scolaire, la maîtresse a donc peu de recul sur ce qui reste de ces questions quelques mois plus tard. Mais il lui est arrivé de traiter la question plus tôt dans l’année. A l’occasion d’une classe nature et de la venue d’une apicultrice dans la classe qui a parlé de la reproduction des abeilles, il lui a semblé judicieux de poursuivre avec la reproduction humaine. Mais elle constate que les élèves sont « cloisonnés » quand un chapitre est refermé, ils n’y reviennent plus.
Madame D. est donc une enseignante ouverte qui accepte d’aborder avec ses élèves des sujets délicats, ce qui a pour conséquence qu’il n’y a pas de débordement du côté des élèves pas plus que du côté des parents. Cependant, elle avoue qu’il y a des questions qu’elle élude, en fait une seule question en trois ans qu’elle a censurée : « Pourquoi quand on fait l’amour les femmes crient ? ».
Elle s’est sentie gênée parce qu’elle n’avait pas de réponse scientifique à fournir. On peut crier de plaisir ou de douleur. On rentre dans l’intime et les réactions individuelles sont très variables et le plaisir sexuel est difficile à faire comprendre à des élèves de l’école primaire, les collégiens sont plus à même de pressentir ce dont il s’agit.
Mais après un moment d’échange, elle a réalisé qu’elle était tout à fait apte à traiter cette question qui peut se révéler importante pour lever certaines représentations néfastes construites au travers de la télévision et du cinéma.
Elle conclut que c’est en mûrissant et avec l’expérience qu’elle s’est autorisée à aborder certaines questions comme celle de la sexualité, même si c’est au travers de la reproduction, ou encore l’égalité filles garçons.
Il est bien évident que les questions posées à une autre enseignante dans un autre contexte, auraient obtenu des réponses différentes, mais on voit très bien grâce à cet entretien que les questions liées à l’intime se montrent délicates même pour une enseignante bien avec elle-même sur ces questions et ouverte au questionnement des élèves. Que certains sujets demandent maturité et expérience d’autant que l’on n’a pas été spécifiquement formé pour. Que les parents sont peut-être soulagés que certaines questions délicates soient abordées en classe plutôt qu’à la maison.
Mais on n’est pas sans savoir que malgré l’inscription dans les programmes, dans certaines écoles, les questions liées à la sexualité sont escamotées par gêne de la part de l’enseignant.