Pour donner à l’enfant les moyens de se protéger contre une éventuelle agression, quelle qu’elle soit, sans pour autant lui faire perdre confiance dans le monde des adultes, la méthode est d’abord le recours à un discours basique : « Comme toutes les personnes, tu as des devoirs à accomplir et tu as des droits à faire respecter. Parmi tes devoirs, tu sais que tu dois dire bonjour, merci, apprendre tes leçons, ouvrir ton lit le matin, mettre tes vêtements sales dans le panier, ranger ta chambre, etc. Parmi tes droits, tu as celui d’être protégé contre la violence méchante. Quand nous sommes près de toi, c’est nous qui nous chargeons de ta protection ; non seulement c’est notre choix mais en plus c’est notre devoir. Mais, quand tu vas à l’école ou quand tu rentres après ton cours de dessin tu es seul, donc tu as à la fois le droit et le devoir de te protéger contre tous les dangers. Le droit de traverser la rue sur le passage piétons et le devoir, avant, de vérifier que les voitures s’arrêtent pour te laisser passer. Le droit de ne pas répondre si un adulte te semble avoir de mauvaises intentions, et le devoir de courir aussi vite que tu peux vers le premier refuge : la boulangerie, la maison du voisin, peu importe ; tous les adultes ont le devoir de te protéger. D’ailleurs, la loi punit les adultes qui n’ont pas aidé un enfant en danger. » Ainsi armé, l’enfant se sent rassuré et, sur le chemin de l’école, peut-être qu’en plus, sa nouvelle démarche, plus assurée, découragera le mal intentionné ?
N’étant pas en mesure d’identifier ni, à fortiori, de soigner ou de neutraliser les éventuels pervers appliqués à nuire pour le plaisir, tous les parents tentent, en premier lieu, de protéger les enfants de ces mêmes individus par une information préventive. Même si les situations sont multiples et souvent bien différentes de ce que les parents racontent pour mettre leurs enfants en garde, il est sage de les avertir des principaux modes opératoires visant à endormir leur méfiance puis à gagner abusivement leur confiance :
- Le monsieur qui inspire confiance : « Je suis le docteur de l’école et je vais t’accompagner » ou « Ta maman a eu un accident et je suis le gentil monsieur qui est venu te prévenir »
- La dame prétendument nouvelle voisine qui ne connaît pas encore le trajet
- Le pauvre homme perdu qui demande de l’aide
- Etc.
Dans tous les cas, il faut solliciter l’intelligence et la défiance de l’enfant, l’exercer à ne pas répondre trop hâtivement avec de bons sentiments, le conditionner à s’interroger lui-même : « Je ne connais pas cette personne donc je n’ai aucune raison de la suivre. » « Est ce que, si j’accepte de suivre cette personne, mes parents sauront où je suis ? » « Pourquoi cet homme me demande-t-il mon adresse ? » « Si maman est malade, pourquoi est-ce un inconnu qui vient me prévenir ? » « Pourquoi me demande-t-il mon aide à moi enfant, plutôt qu’à un adulte ? »
Le risque de générer une espèce de paranoïa incitant à se méfier de tous les adultes existe. Pourtant, s’il est important, pour nos enfants, de savoir et de constater que la majorité des adultes sont là pour leur venir en aide, il est tout aussi important de savoir qu’il existe quelques individus dangereux qu’il vaut mieux apprendre à repérer,. Faire de l’angélisme est inutile et même coupable puisque, un jour ou l’autre, les enfants sont confrontés aux actualités télévisées et d’autant plus choqués qu’ils n’y auront pas été préparés.
Mais tous les parents font l’expérience quotidienne de l’inutilité apparente de leurs discours, voire même de leur traduction inversée à travers les réactions de l’enfant. Prévenir du possible danger représenté par l’irruption d’un pervers peut être soit immédiatement rangé dans le tiroir intitulé « Moi, ça m’arrivera pas » donc oublié, soit utilisé à rebours pour conjurer la peur : « Tiens, quelle bonne idée, on va jouer à ça ; tu es l’enfant et moi, je vais t’enlever, t’attacher à un arbre et te faire… » Soit -et c’est l’enjeu de la bien-traitance- utilisé comme propagande par l’enfant désireux de faire le mariole devant ses copains : « Moi, j’ai été enlevé par un fou qui a voulu me tuer ! Et toc. » D’abord, de délicieuses exclamations-réponses : « C’est dingue ! T’as pas eu peur ??? » « Moi ? Bof » C’est l’instant de gloire. Et puis, à mesure que les questions de son auditoire deviennent de plus en plus gênantes, l’enfant élabore et nourrit son mensonge au point, finalement, se sentant acculé, de désigner un responsable pris au hasard : maître d’école sévère, voisin intimidant ou quelque autre homme parfaitement innocent qui risque de passer quelques années difficiles si le gamin, en plus d’être menteur, a un talent de conteur. Alors ? Comment s’y prendre pour avertir sans terroriser excessivement ? Pour prévenir suffisamment quand même ? Pas de recette miracle, seulement du bon sens. Pour que la mémoire de l’enfant conserve l’information transmise par le parent, il faut, comme pour toute mémorisation, que le cœur ait été frappé. Or quoi de plus fort, émotionnellement, que le sentiment de son importance ? Il suffit que le parent ajoute « Tu es très intelligent, je sais que tu comprends la gravité de ce que je t’ai dit et je te sais capable, toi, de prévenir ceux de tes copains dont les parents n’ont pas encore eu le temps de parler de tout ça. Si aucun de tes camarades ne se fait enlever, ce sera aussi grâce à toi.» Tout fier d’être celui à qui on fait confiance, celui qui va « aider les autres », le gamin aura à cœur de répéter scrupuleusement la mise en garde parentale et, ainsi, mémoriser parfaitement l’information.
De la bienveillance à la bientraitance. Patricia Chalon. Marabout