Violences sexuelles dans l’Église : le tragique bilan de la Commission Sauvé

Le mardi 5 octobre 2021, Jean Marc Sauvé, Président de la Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église) et ancien Vice-Président du Conseil d’État, a remis le rapport qui lui avait été demandé en 2018 par les autorités ecclésiastiques françaises, un long rapport de 485 pages et 2000 pages d’annexes.

Il y a déjà plus de 30 ans qu’Enfance Majuscule alertait sur les abus sexuels dans l’Église. Simone Chalon publiait en 1999 un livre « Au nom des Enfants », avec un chapitre intitulé  » Les évangiles de la honte ». Dans cet ouvrage, destiné à défendre la cause des enfants, elle disait quasiment mot pour mot ce que la commission Sauvé vient de mettre au jour, et avait fait le choix de parler des agressions et des sévices subis dans un langage très clair :

« Je ne suis pas anticléricale, mais j’ai été beaucoup trop souvent confrontée à des religieux trahissant leur vœu de chasteté au détriment des enfants qu’ils étaient supposés éduquer ou secourir, des prêtres ne parvenant pas à assumer et encore moins à juguler leurs désirs, poussés par la frustration aux pires sévices. Pour les enfants le traumatisme est d’autant plus sévère que l’adulte en question est une « figure paternelle » affectivement, spirituellement et intellectuellement, réputée au–dessus de tout soupçon. Et puis il est détenteur de la Parole divine : si Dieu est de son côté, comment imaginer qu’il agisse mal ? L’enfant abusé à qui l’on a inculqué la notion de péché, développe immanquablement un incoercible sentiment de culpabilité » (Chapitre VI, « Les évangiles de la honte »)

Plus de 300 000 victimes

Soulignant le caractère interdisciplinaire de la Ciase (histoire, sciences, sociales, anthropologie, médecine, psychiatrie, théologie, J.M. Sauvé confie, lors de sa conférence de presse :

« Le plus terrible pour moi aura été de voir le mal le plus absolu – l’atteinte à l’intégrité physique et psychique d’enfants -, c’est-à-dire une œuvre de mort, perpétrée par des personnes dont la mission était d’apporter la vie et le salut ».

Selon l’enquête conduite dans les archives et à partir des témoignages arrivés à la Ciase, au moins 216 000 personnes ont été victimes de clercs ou de religieux depuis 1950 en France. Ils sont plus de 330 000 en comptant les victimes de laïcs travaillant dans les institutions de l’Église (catéchisme, aumônerie). Ce sont des chiffres plancher.

2 900 et 3 200 prêtres, diacres et religieux identifiés ont commis, de manière certaine, des agressions sexuelles sur des mineurs ou des majeurs vulnérables entre 1950 et 2020. Là encore, cette fourchette est un minimum. Elle représente 2,5 % à 2,8 % des 115 000 prêtres et religieux qui ont exercé pendant les soixante-dix ans étudiés. La Ciase estime qu’un ratio proche de 3 % constitue une « estimation minimale ». Les violences sexuelles dans l’Église concernent « massivement » les garçons (près de 80 % des victimes) âgés surtout entre 10 et 13 ans.

56% des violences se sont produites dans les années 1950 à 1969. Elles diminuent nettement dans les années 1970 à 1990, et leur nombre s’est ensuite maintenu. Concernant les « politiques ecclésiales », M. Sauvé évoque une « indifférence profonde et totale, et même cruelle, à l’égard des victimes » jusqu’au début des années 2000.

Ce bilan épouvantable posé, la commission propose 4 orientations :

Réformer le droit de l’Église : il paraît nécessaire d’introduire, dans la procédure pénale ecclésiastique, les règles du procès équitable, donnant place aux victimes. Il faut également réformer la gouvernance de l’Église, qui « fait obstacle » au traitement des agressions, associer les laïcs aux instances décisionnelles, et mettre en place des contrôles internes. Nécessaires aussi des plans de réduction des risques, des entretiens annuels systématiques, laissant des traces écrites.

* « Il faut réparer », reconnaître la « qualité de victime ». Il faut « indemniser », mais cela ne peut pas être un « barème » aligné sur l’échelle des crimes et des délits : « Cette question de l’indemnisation ne peut pas être un don. C’est un dû. Les victimes ont une créance. »

Adapter la formation, et veiller au « discernement vocationnel ». Quels enseignements doivent être privilégiés ? Il faut ouvrir le profil des enseignants religieux.

* En dernier lieu, « il semble indispensable de nous pencher sur tout ce qui a pu nourrir ou justifier les abus sexuels, et notamment une hyperbolisation du pouvoir du prêtre, l’identification du prêtre au Christ. ».

J.M. Sauvé a terminé la conférence de presse par ces mots :

« Nous passons le témoin aujourd’hui à l’Église. J’ai exprimé notre attente et notre espoir. Nous passons aussi le témoin à la Commission indépendante sur les violences sexuelles et l’inceste. Je suis tout à fait sûr qu’elle répondra à nos attentes. En dernier lieu, j’exprime notre gratitude aux personnes victimes, sans qui rien n’aurait pu se faire. Nous pensons aussi à toutes les victimes qui n’ont pas pu nous rencontrer. Ce sont incontestablement les plus souffrantes, et c’est par elles que je veux terminer. »

LIRE LE RAPPORT EN INTÉGRALITÉ