La séparation familiale : enjeu majeur des colonies de vacances

L’enfant doit avoir toutes possibilités de se livrer à des jeux et à des activités récréatives, qui doivent être orientés vers les fins visées par l’éducation ; la société et les pouvoirs publics doivent s’efforcer de favoriser la jouissance de ce droit.

– extrait du principe 7 de la Déclaration des Droits de l’Enfant du 20 novembre 1959

Quand nous pensons à la protection de l’enfance, nous pensons souvent à la sécurité physique et psychique, à l’accès aux soins, ou encore au savoir. Nous oublions parfois que dans le champ du psychisme infantile, le droit au fantasme, au jeu, au plaisir est porteur.

A ce titre, les colonies de vacances ont sans doute un rôle à jouer. Ces quelques jours de loisirs, loin de sa famille et de son cadre quotidien, ont la capacité d’offrir à l’enfant un lieu propice à son développement en rejouant les processus psychiques de séparation familiale, d’adaptation au groupe et à l’autre ou encore de découverte de l’autonomie.

Tadamisol est une association créée par des étudiants psychologues autour de ce principe ; protéger les enfants en leur proposant des vacances, et penser et organiser ces vacances de façon à ce qu’elles soient soucieuses de l’épanouissement des enfants accueillis.

Cet été, pour la première fois, l’association a accueilli 17 enfants de 8 à 12 ans à la Ferme Des Coccinelles : de magnifiques maisons d’hôtes situées dans un petit village de Champagne.

Témoignage de l’équipe Tadamisol

Les enfants ont fait du camping sur le terrain. Ils ont pu profiter de la piscine, du trampoline, du terrain de football et du terrain de volley. Ils ont pu nourrir Gabriel, le bouc de la ferme et caresser les ânes des voisins. Ils ont pu aussi, bien sûr, participer à des activités que nous avons organisées, et nous proposer d’autres jeux pour s’approprier leurs vacances.

Pour beaucoup d’enfants que nous avons accueillis, cette colonie était la première séparation familiale, voire le premier départ en vacances.

Nous avons donc proposé, lors de chaque inscription, d’organiser une rencontre avant le départ avec les enfants qui le désiraient pour amorcer le lien et faciliter la séparation. Nous nous sommes déplacés chez eux ou dans les lieux de leur quotidien (placements familiaux, PRE, maisons de quartiers, etc.). Nous avons rencontré les familles et les équipes qui les encadrent à l’année. Nous avons essayé de faire lien, de faire bonne transition et de mettre les enfants en confiance.

Le 6 juillet, nous avons donné rendez-vous aux enfants et à leurs familles à la gare. La scène du départ en colonie est toujours particulière à observer. Il y a des enfants qui pleurent, d’autres qui retiennent leurs larmes et d’autres qui ne tiennent pas en place d’excitation. Il y a toujours beaucoup d’appréhension de toutes parts. Nous croyons profondément que se joue dans ce moment du départ quelque chose de fondamental pour l’enfant qui quitte sa famille pour les vacances.

La scène du retour est tout aussi significative. Les enfants courent rejoindre leurs familles et nous sentons souvent chez eux un aller-retour entre les au revoir pressés et la joie de retrouver leur foyer.

Ces scènes font penser à Benoît Pichavant, l’enfant de Nos jours heureux qui ne veut pas quitter sa valise : “J’veux rentrer chez moi” et à son père, le fameux pédopsychiatre, qui n’est pas plus armé que son fils pour faire face à cette distance.

L’articulation de la séparation et du jeu, essentielle dans une colonie de vacances, renvoie à l’analyse de Freud à propos du petit Ernst et de sa pelote de laine. «o-o-o» ; «da».

Ce sont les bruits que faisait le petit-fils de Freud en jouant avec une bobine quand sa mère le laissait avec son grand-père. Il lançait la bobine loin de lui : «o-o-o» ; puis la ramenait en tirant sur le fil : «da». Dans ces sons, Freud a compris les mots allemands fort ( parti ) et da (là)1. Il y a vu la ré-appropriation par Ernst du départ de sa mère : “Ce n’est pas toi qui pars et qui reviens, c’est moi qui te fais partir et revenir”.

Grâce au jeu, Ernst fait sens de la séparation. C’est Winnicott qui le formulera plus explicitement, des années après Freud, en parlant des phénomènes transitionnels : face à l’absence, l’enfant met la pensée.

Cet exemple semble particulièrement significatif pour appréhender ce qui se joue au cours du séjour, en révélant le rôle central de l’enfant dans cette articulation, comme acteur de ces jeux et comme auteur de discours autour de la séparation.

On peut s’imaginer que c’est ce que ressentent les enfants à la gare. “o-o-o” au départ, “da” à l’arrivée. “Je suis parti, je suis revenu”. Entre les deux, les vacances, les fantasmes, le jeu, la pensée.

VIGNETTES

Chez beaucoup d’enfants, nous avons pu observer la façon dont l’éloignement familial, le temps d’une ou deux semaines, a permis l’émergence de réflexions sur soi. Loin de ses figures d’attachement principales, l’enfant s’invente et se construit.

Il y a une enfant en particulier, Anna, chez qui nous avons vu drastiquement évoluer les choses au cours du séjour. C’est sa mère qui nous a contactés, courant mai, pour l’inscrire en colonie. Au téléphone, elle se livre très rapidement à nous. Elle raconte les difficultés qu’elle rencontre avec sa fille qui, à dix ans, dort toujours avec elle. Elle avoue qu’Anna n’a jamais dormi sans elle. Elle parle aussi de sa séparation avec son conjoint pour violences conjugales, il y a de ça quatre ans. Elle verbalise que la chose la plus difficile, avec Anna, c’est la séparation. C’est pourquoi elle pense que la colonie est une bonne idée : “il faut couper le cordon, je sais”.

Pour Siméon aussi, un enfant de 10 ans venu accompagné de sa sœur jumelle, la colonie a offert le cadre nécessaire à l’émergence d’un discours sur soi. C’est un garçon timide et très silencieux. Dans le brouhaha de la colonie, il est facile de ne pas le remarquer.

Cependant, tous les matins, lors des différents ateliers d’éveil intellectuel que nous organisions, il allait trouver son animateur pour travailler assidûment un texte qu’il écrivait sur l’enfance. Les discours sur l’enfance étant souvent accaparés par la parole adulte, nous avons été impressionnés, dans l’équipe, par sa capacité à faire sens de son vécu propre.

En partant, en quittant sa famille le temps d’une ou deux semaines, l’enfant met à distance son quotidien pour mieux l’appréhender. Il se fantasme, se joue, se pense. Puis il revient. «O-o-o» ; «da».

Les colonies de vacances sont ces parenthèses dans la vie d’un enfant qui lui donnent la distance nécessaire pour se construire et pour se libérer du poids que peut représenter l’imago parentale. Elles sont à considérer comme des alliées essentielles de la protection de l’enfance.

A tous les adultes, l’enfance c’est comme un enfant qui devient un adulte.
En fait, on est né et on grandit de plus en plus jusqu’à 3 ans. A 5 ans, on va à l’école.
A 12 ans, on n’est pas encore un ado et on rentre au collège.
A 16 ans, on n’est pas encore majeur.
On grandit, grandit, grandit.
Grandir, ça me fait plaisir : on trouve du travail, on gagne de l’argent, on peut faire les courses et prendre ce qu’on veut.
Mais grandir, ça me fait aussi peur : il faut payer le loyer (si on ne le paie pas, on perd notre maison), avoir une voiture (le vélo, c’est mieux), être arrêté par la police (si on ne connaît pas le code de la route).
Quand on grandit, on n’a plus d’amis, on n’a plus de cantine, on ne peut plus jouer.
Quand on grandit, on oublie tout : les ados oublient comment c’était l’école primaire (le nom de leur maître et maîtresse) ; les adultes oublient comment c’était quand ils étaient ados.
On ne se rappelle plus de nos enfances… Moi, je me rappelle de tout »

Siméon